Aller au contenu
Accueil » Blog » Sociétés à mission, 2 ans après, quel est le bilan ?

Sociétés à mission, 2 ans après, quel est le bilan ?

Bientôt deux ans[1] après l’introduction des sociétés à mission en droit français par la loi Pacte, l’heure est au premier bilan[2]. Quelle est l’ampleur pris par le dispositif à ce jour ? Quel est le profil des entreprises qui ont déjà sauté le pas ? Est-il envisageable que la société à mission devienne à terme un dispositif de « normalité » pour toute société commerciale ? 

Ci-dessous un éclairage sur le sujet, après un rappel sur les contours du concept et les conditions pour devenir une société à mission. 

 

Qu’est-ce qu’une société à mission ?

 

La société à mission est un dispositif qui permet à toute société commerciale de préciser dans ses statuts la raison d’être de la société, raison d’être qui s’accompagne d’objectifs environnementaux et sociaux, opposables et contrôlés. Levons aussi toute ambiguïté : il n’y a aucun avantage fiscal à devenir une société à mission. C’est un dispositif ouvert, un moyen donné à l’entreprise de signaler qu’elle n’est pas uniquement animée par la recherche de profit. 

 

En pratique, devenir une société à mission est un projet qui sous-tend une stratégie d’orientation du projet d’entreprise, plus que la mise en œuvre d’un montage juridique. En effet, sur le plan des formalités, une simple inscription modificative au RCS suffit. Tout l’enjeu se situe donc sur le terrain stratégique, en partant de la vision du dirigeant et du travail effectué avec l’implication de la direction générale de l’entreprise, et éventuellement après consultation des actionnaires, de certains des salariés de l’entreprise, etc.

Genèse : L’introduction de ce dispositif en France est partie du constat que depuis les années 80, la gouvernance des entreprises est axée principalement sur le rôle des actionnaires. Seul le critère de la valeur actionnariale de l’entreprise est utilisé pour mesurer sa performance. Cette vision de l’entreprise est réductrice et génère des impacts sociaux et environnementaux délétères. C’est notamment la thèse de M. Kévin Levillain (Mines Paris Tech), sous la direction de Mme Blanche Segrestin, qui a contribué à l’éclosion de ce nouveau dispositif et donné lieu à la rédaction du rapport dit « Notat-Sénard » présenté en mars 2018 au gouvernement, à la suite duquel a été introduit ce concept de « raison d’être », propre aux sociétés à mission. 

Sur le plan macro-économique, l’intégration de la société à mission en droit français a été pensé comme une manière de moraliser la société, de faire prendre un tournant éthique à notre capitalisme financier. 

Sur le plan juridique, en créant la société à mission, le législateur a « forcé le droit » à intégrer qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, qu’elle exerce une influence sur la société. Jusqu’à la loi Pacte, il existait seulement des obligations de reporting, à destination des grandes entreprises (> 500 pers. avec CA > 100 Millions €) : réglementation anti-corruption, anti-blanchiment, objectifs sociaux et environnementaux. 

Quelles sont les conditions pour devenir une société à mission ?

La création d’une société à mission repose sur la base du volontariat et peut concerner toute forme de société commerciale (SARL, SA, SAS, SCA, etc.).

Une société à mission obéit à trois critères : 

1. La société doit se doter d’une « raison d’être » statutaire au sens de l’article 1835 du Code civil, à la manière d’une devise pour un Etat ;

2. La société doit définir une mission à objectifs sociaux et environnementaux pour satisfaire sa raison d’être ;

3. La société doit instaurer un Comité de mission.

§  Le Comité de mission 

 

Le Comité de mission est un organe distinct des organes sociaux. Il est composé d’au moins un salarié de la société. Il est chargé de la rédaction d’un rapport annuel qui sera joint au rapport de gestion lors de l’approbation annuelle des comptes. Il procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission.

Et pour les petites entreprises ? 

Si la société a moins de 50 salariés permanents, elle peut se doter uniquement d’un « référent de mission » qui se substituera au Comité de mission. Ce référent peut être un salarié de la société sous réserve qu’il exerce bien un emploi effectif. 

§  La surveillance par un organisme tiers indépendant (OTI)

 

L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux de la société se fera à travers la surveillance d’un organisme tiers indépendant (OTI), désigné par l’organe en charge de la gestion de la société, qui doit être un organisme accrédité par le Comité français d’accréditation. 

L’OTI est désigné par la société pour une durée initiale maximale de 6 ans, renouvelable, sans que le mandat puisse excéder 12 ans au total. 

La première vérification par l’organisme tiers se fait dans les 18 mois de la première déclaration au greffe de la raison d’être de la société (avec là encore, un effet de seuil : 3 ans si la société a moins de 50 salariés) et ensuite, l’organisme intervient tous les 2 ans (3 ans si la société a moins de 50 salariés).

L’OTI rend son avis sur consultation du rapport rendu par le Comité de mission. Cet avis motivé doit être publié sur le site internet de la société et demeurer accessible pendant au moins 5 ans. 

Le 27 mai dernier, un nouvel arrêté est d’ailleurs entré en vigueur[3] pour préciser les modalités selon lesquelles l’OTI, est chargé de conduire sa mission. 

 

Pour délivrer son avis, l’OTI doit :

 

(i) examiner l’ensemble des documents détenus par la société, utiles à la formation de son avis, notamment le rapport annuel rédigé par le référent ou le comité de mission ; 

 

(ii) interroger le comité de mission ou le référent de mission sur son appréciation de l’exécution des objectifs de la société ; 

 

(iii) interroger l’organe en charge de la gestion de la société sur la manière dont la société exécute son ou ses objectifs, sur les actions menées et sur les moyens financiers et non financiers affectés, comportant le cas échéant l’application de référentiels, normes ou labels sectoriels formalisant de bonnes pratiques professionnelles, que la société met en œuvre pour les exécuter ;

 

(iv) s’enquérir de l’existence d’objectifs opérationnels ou d’indicateurs clés de suivi et de mesures des résultats atteints par la société à la fin de la période couverte par la vérification pour chaque objectif. Le cas échéant, il examine par échantillonnage les procédures de mesure de ces résultats, en ce compris les procédures de collecte, de compilation, d’élaboration, de traitement et de contrôle des informations, et réalise des tests de détails, s’il y a lieu par des vérifications sur site ; 

 

(v) procéder à toute autre diligence qu’il estime nécessaire à l’exercice de sa mission, y compris, s’il y a lieu, par des vérifications sur site au sein de la société ou, avec leur accord, des entités concernées par un ou plusieurs objectifs que la société s’est fixée ; 

 

Et ensuite, concernant le contenu de l’avis, les obligations de l’OTI sont également encadrées. Il doit indiquer dans son rapport motivé les éléments suivants : 

 

(i) la preuve de son accréditation ; 

 

(ii) les objectifs et le périmètre de la vérification ; 

 

(iii) les diligences qu’il a mises en œuvre, en mentionnant les principaux documents consultés et les entités ou personnes qui ont fait l’objet de ses vérifications et précisant, le cas échéant, les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa mission ; 

 

(iv) une appréciation, pour chaque objectif fixé par la société (moyens mis en œuvre pour le respecter ; résultats atteints à la fin de la période couverte par la vérification, si possible exprimés de manière quantitative par rapport à l’objectif et, le cas échéant, aux objectifs opérationnels ou indicateurs clés de suivi ; adéquation des moyens mis en œuvre au respect de l’objectif au regard de l’évolution des affaires sur la période ; le cas échéant, l’existence de circonstances extérieures à la société ayant affecté le respect de l’objectif) ;

 

(v) une conclusion motivée déclarant, pour chaque objectif fixé par la société, soit que la société respecte son objectif, soit que la société ne respecte pas son objectif, soit qu’il lui est impossible de conclure.

 

Il est donc important pour la société à mission de travailler régulièrement à la définition et à l’évaluation de la satisfaction de ses objectifs, dès l’inscription de sa mission dans ses statuts, de façon que la saisine de l’OTI intervienne uniquement comme l’aboutissement d’un processus prenant acte du chemin parcouru.[4]

 

§  Les sanctions en cas de non-respect de la raison d’être

 

En devenant une société à mission, les sociétés s’exposent à un risque d’image supplémentaire.

Lorsque la société ne respecte pas le dispositif légal ou lorsque l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux que la société s’est assignée ne sont pas respectés, le ministère public ou toute personne intéressée peut agir en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention « société à mission » de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société.

Et aujourd’hui, quel est le bilan des sociétés à mission ?

 

Le dispositif est-il appelé à croître et à influencer notre modèle économique dans son ensemble ? 

 

La Communauté des Entreprises à mission[5] s’est associée à Mines Paris Tech pour réaliser un premier portrait des sociétés à mission depuis leur création[6].

 

Baromètre : quelques chiffres pour se situer 

 

Au 1er janvier 2021, 88 sociétés à missions ont été créées en France. Sur ces 88 sociétés à missions, plus de la moitié sont basées en Ile-de-France et les 2/3 comptent moins de 50 salariés. Ce sont donc les PME franciliennes qui se sont emparées en premier de ce dispositif. Et les PME du tertiaire puisque 80% des sociétés à missions au 1er janvier 2021 exercent des activités de services, principalement dans le secteur du conseil suivi de près par celui de la finance et de l’assurance. A noter aussi, 11% des sociétés à mission créées jusqu’à présent sont des entreprises qui sont déjà labellisées ESS

 

Par ailleurs, il faut savoir qu’à la création, les porteurs de projets s’engagent puisque sur les 88 sociétés à missions créées sur les 18 premiers mois du dispositif, une sur cinq est née « à mission »

 

Et depuis la publication de ce premier baromètre, le nombre de sociétés à mission créées ne cesse d’augmenter, pour atteindre 258 sociétés à mission créées aujourd’hui en France[7].

 

Perspective : quelle place pour les sociétés à mission demain ?

 

Il est encore un peu tôt pour le dire mais l’attraction pour les sociétés à mission est tangible. 

 

La crise sanitaire a accentué le phénomène. C’était palpable à l’issu du premier confinement en mai 2020 avec l’engouement des ETI et des grands groupes pour le dispositif (Danone par exemple ou encore La MAIF) et depuis le 4ème trimestre 2020, la tendance est vraiment à la hausse (+60% de créations entre T3 et T4 2020). 

 

En prenant du recul, plusieurs facteurs indiquent que le dispositif de la société à mission est appelé à se déployer massivement en France dans les prochaines années et qu’il s’agit d’un outil pérenne sur lequel il vaut la peine de se pencher en tant que dirigeant d’entreprises, au-delà d’un simple effet de mode. 

Voici les deux facteurs principaux de succès identifiés : 

D’une part, les sociétés à mission entrent en résonance avec le phénomène de la quête de sens au travail, qui a été révélé, accentué voire décuplé par la crise sanitaire. 

La mobilisation des dirigeants sur le terrain de la raison d’être de leur société comporte donc un enjeu managérial, au même titre pourrait-on dire qu’une politique de responsabilité sociale et environnementale sincère, concrète, vécue par les salariés de l’entreprise. 

La société à mission est un outil à double entrée, à percevoir certes comme un gage de valorisation auprès des parties prenantes extérieures de l’entreprise (clients, fournisseurs, partenaires) mais également à forte valeur ajoutée interne. 

Ensuite, les sociétés à missions rejoignent la tendance plus globale, « la lame de fond » de la transition sociétale qui est à l’œuvre aujourd’hui. C’est en effet un outil mis à la disposition des dirigeants d’entreprises commerciales, capitalistiques, pour acter que leur structure a un réel intérêt social.

 

En devenant une entreprise à mission et surtout en réalisant la mission qu’elle s’assigne, la structure prouve qu’elle s’inscrit sur le chemin de transition juste, sociale et environnementale de notre modèle économique, et qu’elle fait partie des entreprises qui seront capables de subsister dans le monde de demain…à bon entendeur !

 

 

Conclusion

 

Depuis son introduction, le dispositif de la société à mission prend progressivement de l’ampleur. A ce stade les dirigeants découvrent, s’interrogent, est-il vraiment utile de devenir une société à mission ? 

 

Le dispositif peut être utilisé pour créer un simple levier de réputation, comme un outil de green- ou de social-washing dédié. Alors, pourquoi franchir le pas ? Pour partager avec d’autres chefs d’entreprises la conviction qu’il faut refondre la place de l’entreprise dans la société. Devenir une société à mission, c’est reconnaître qu’une entreprise est un instrument de création collective. 

 

En tout cas, qu’il s’agisse d’un faire-valoir, d’un passeport de bonne conduite ou d’un outil managérial de conduite du changement, les retombées pour la société seront positives, à moyen ou long terme.

 

 

 

 


[1] La loi Pacte date du 22 mai 2019 mais le décret d’application est entré en vigueur en janvier 2020]]

[2] La société à mission a été créée par l’article 176 de la loi Pacte : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000038496249 et le décret d’application : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039749343/

[3] Arrêté du 27 mai 2021, qui a inséré de nouveaux articles A 210-1 et -2 dans le Code de commerce. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043546955

[4] Le site de l’observatoire des entreprises à mission à mis en ligne la liste des OTI accrédités à ce jour, consultable ici :  https://observatoire.entreprisesamission.com/organismes-tiers-independants

[5] Association loi 1901 créée en 2018 qui rassemble un collectif d’entrepreneurs, de dirigeants, de chercheurs, d’experts, d’actionnaires et de salariés, convaincus par l’entreprise à mission

Pour consulter l’article sur le site du Village de la Justice, cliquez ici.

Elsa Lourdeau Avocat Lyon Droit Commercial & Immobilier

Elsa Lourdeau

Avocat – Barreau de Lyon

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

E.L. Avocat